Au regard des enjeux soulevés lors de l'examen du projet de loi DADVSI et de la mobilisation citoyenne exceptionnelle qui l'a accompagné, il serait inacceptable que le retrait de ce texte ne soit qu'une manoeuvre visant à prendre juste le temps nécessaire pour faire pression sur les parlementaires UMP qui se sont élevés contre le projet "liberticide" que le ministre de la Culture leur proposait de voter en urgence la veille de Noël.[3]



Face à un "sujet difficile"[4], il convient de laisser le temps nécessaire à l'ensemble de la représentation nationale et à la société civile pour concevoir et débattre de pistes équilibrées, respectueuses des droits de chacun. Les choix à faire sont sociaux et économiques, mais aussi stratégiques. Ils doivent éclairer l'avenir du droit d'auteur européen. Rafistoler - en petit comité, dans l'urgence et sous influence - un texte écrit par et pour des "oligopoles apôtres de l'obscanturisme technologique" n'est pas une solution.[5]

Les récentes annonces du ministre de la Culture sont sur ce point inquiétantes. Aucune avancée concrète ne permet de déceler une quelconque prise en compte du droit essentiel de chacun à la copie privée, sur tout support et par tout moyen. La riposte graduée serait toujours en vie, l'amendement VU/SACEM/BSA/FT Division Contenus aussi. Le simple contournement à des fins d'usage privé serait toujours illégal et la création d'un péage sur les informations essentielles à l'interopérabilité toujours d'actualité. Quant au collège des médiateurs, qui était déjà dans le texte, c'est toujours un tribunal d'exception.[6]

À croire que le ministre a oublié ce qui s'est passé fin décembre.[7]

L'initiative EUCD.INFO demande donc que l'urgence soit retirée, et qu'un texte consolidé avec les nouveaux amendements du gouvernement soit publié au moins six semaines avant la reprise de l'examen au Parlement pour que l'opposition, les associations et les internautes puissent l'étudier et se préparer à la reprise des débats.

L'initiative EUCD.INFO invite de plus le cabinet du Premier Ministre, Dominique De Villepin à continuer ses consultations et sa recherche de l'interêt général, en ne cédant pas aux pressions des lobbies et de la Commission Européenne qui redoublent actuellement.[8]

Il convient aujourd'hui d'auditionner toutes les parties concernées par l'évolution du droit d'auteur à l'ère du numérique. Les associations d'auteurs et d'utilisateurs de logiciels libres et de contenus ouverts n'ont ainsi pas été entendues par le Premier Ministre ou ses services alors même que leurs membres sont directement visés par le texte.

Références

[1] - Dépêche AP (24 janvier 2006)

«Le chef de file des députés UMP, Bernard Accoyer, a indiqué mardi avoir obtenu du gouvernement que le très décrié projet de loi sur les droits d'auteur sur Internet ne revienne pas en débat à l'Assemblée avant qu'un "accord" ait été conclu avec son groupe.»

[2] - Pétition EUCD.INFO (lancée le 2 décembre 2005)

Par cette pétition, je vous demande donc solennellement de : - retirer le projet de loi n° 1206 sur le droit d'auteur de l'ordre du jour parlementaire ; - organiser un vrai débat entre les parties concernées visant à trouver un réel équilibre, et où les associations d'auteurs et d'utilisateurs de logiciels libres, de bibliothécaires, et d'internautes pourront réellement participer; - faire en sorte que les demandes notamment de l'initiative EUCD.INFO et de l'interassociation des archivistes, bibliothécaires et documentalistes soient prises en compte.

[3] - "Téléchargement d'erreurs pour le ministre" (Libération,23 décembre 2005, F. Latrive)

« En France, défendre une loi sur le droit d'auteur permet bien souvent de laisser son nom dans l'histoire. Après Le Chapelier, rapporteur de la toute première, en 1791, et Jack Lang en 1985, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres n'échappe pas à la règle : depuis deux jours, le tabassage de son projet de loi sur la réforme du droit d'auteur dans la société de l'information par des députés de tous bords est d'ores et déjà historique. «On attendait Malraux, on a eu Maginot !» a lâché le socialiste Christian Paul avant-hier. Comme la Ligne du ministre de la Guerre de 1930, «RDDV» se fait déborder par une fronde parlementaire contre un texte qualifié de «liberticide» par l'UMP Alain Suguenot et de «blanc-seing aux majors du disque» par le socialiste Patrick Bloche.»

[4] Conférence de presse mensuelle du Premier Ministre (26 janvier 2006)

« Regardez également la question des droits d’auteur sur Internet : c’est un sujet difficile, qui demande à la fois de prendre en compte les pratiques des Français, en particulier des plus jeunes d’entre eux, et la nécessité de défendre la création des compositeurs, des musiciens, des cinéastes. Nous devons réconcilier la liberté des internautes et la liberté des créateurs afin de garantir l’avenir de la musique et du cinéma français. Ouvrons les yeux, regardons la réalité des choses. Avec Renaud DONNEDIEU de VABRES, nous avons multiplié les concertations. Sur un sujet de cette importance, nous devons faire évoluer les mentalités. J’ai reçu des représentants du monde de la musique et du cinéma. Nous voulons chercher le consensus le plus large possible, pour présenter un texte dès que le calendrier parlementaire le permettra, à partir du mois de mars. »

[5] - "Coup de frein sur le Net" (Libération, tribune de Bernard Carayon et Muriel Marland-Militello,21 décembre 2005)

« On pourrait poursuivre la litanie des dommages collatéraux de ce texte, tant en ce qui concerne la possibilité pour les chercheurs de certaines spécialités de poursuivre leurs travaux, que le risque de dépendance technologique. Une occasion manquée, deux cents ans après l’apport des Lumières, de donner l’exemple d’un droit adapté à l’économie numérique, plutôt que de favoriser le maintien d’oligopoles apôtres de l’obscurantisme technologique. Cela devrait aussi nous faire réfléchir à l’opportunité de réglementer l’action des lobbies dans notre démocratie, comme elle l’est dans de nombreux pays et à la Commission européenne, afin que l’objectif de la loi reste l’intérêt général. Pour ce texte, en l’état, la question est posée et la réponse évidente.»

[6] - Droit d'auteur: les principaux aménagements du projet de loi (26 janvier 2006)

[7] - Communiqué de la Ligue ODEBI demandant la démission du ministre Donnedieu. (22 décembre 2005)

« Les conditions d'examen du projet de loi sont tout simplement intolérables : entre la procédure d'urgence assenée à un texte décrit comme historique, qui plus est examiné à la veille de noël, et le blanc-seing donné par le ministre Donnedieu aux commerciaux des industries culturelles pour venir faire des démonstrations promotionnelles de leur produits au sein même de l'Assemblée Nationale au moment même de l'examen du texte, jamais une telle insulte n'aura été faite à la représentation nationale, jamais un ministre français ne s'est permis de travestir le parlement en un Mac Donald législatif. La Ligue demande donc la démission du ministre Donnedieu, après ce désaveu cinglant qui lui a été infligé par la majorité des députés, au-delà de tout clivage politique. »

[8] - Communiqué EUCD.INFO suite aux menaces de la Commission Européenne (11 janvier 2006)

« La Commission Européenne a annoncé hier avoir demandé à la France de se mettre immédiatement en conformité avec un arrêt antérieur de la Cour de justice européenne relatif à la non-transposition de la directive de 2001 sur le droit d’auteur. »