Monsieur le député,

Dans le cadre de l'examen du projet de loi 1206 dit DADVSI, plusieurs faits récents montrent que les parlementaires élus pour servir l'intérêt général font l'objet d'un lobbying intense de la part de certains représentants de l'industrie du disque.

Tout d'abord, il y a eu l'incident survenu le 20 décembre 2005 à l'Assemblée Nationale. Cet incident, révélé par la presse écrite et par de nombreux sites d'information sur internet, a montré de manière éclatante la réalité des tentatives d'influence exercées auprès des députés dans le cadre de l'examen du projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI).

En effet, quelques heures avant le début de l'examen du projet de loi DADVSI, des représentants d'éditeurs de services en ligne commerciaux (Le Virgin et La Fnac), badgés « Ministère de la culture », ont fait des démonstrations de leurs sites de téléchargement de musique payante dans une salle, proche de l'hémicycle. Ils ont également offert des avantages en nature aux parlementaires (cartes prépayées de 9,99 Euros donnant droit à télécharger gratuitement une dizaine de morceaux de musique). Quelques minutes plus tard, cette démarche était dénoncée en séance par plusieurs députés. Le président de séance, Yves Bur annonçait ensuite que le président de l'Assemblée Nationale, M. Jean-Louis Debré, avait décidé d'interrompre immédiatement la présentation, dont il apparaissait qu'elle ne se déroulait pas dans les conditions qui avaient été prévues.

Le second fait que je souhaite évoquer est encore plus préoccupant. Il s'agit du témoignage d'un député et de son collaborateur qui révèlent la nature des pressions exercées sur des parlementaires et les qualifient d'« anti-républicaines » et de « méthodes que la morale réprouve ».

Ce témoignage précis intervient dans un des reportages présentés le lundi 13 février sur France 2 dans l'émission « Complément d'enquête ».

On y voit l'audition de représentants de l'industrie du disque (SNEP) par Bernard Carayon (député UMP du Tarn), Murielle Marland-Militello (députée UMP des Alpes-Maritimes) et Christian Daviot (collaborateur de Bernard Carayon).

La journaliste de France 2 précise « Ce jour-là le débat est tout de même resté dans des limites courtoises mais ce n'est pas toujours le cas. Selon Bernard Carayon et son collaborateur, d'autres adversaires de la licence globale utilisent des arguments plus radicaux. »

A l'issue de la réunion, une discussion s'installe entre la journaliste, Bernard Carayon et son collaborateur. Ce dernier lâche « Quand un président d'organisme menace des parlementaires de leur supprimer des subventions pour des festivals c'est du lobbying. » ; « C'est anti républicain ». Bernard Carayon ajoute « Voilà, exactement. Lorsque s'exerce du chantage, on n'est plus dans l'influence. On n'est plus dans l'argumentation. On est dans un rapport de force. Ca évidemment, c'est inacceptable » et il précise « les enjeux financiers sont considérables. Et, les enjeux financiers, parfois, justifient pour certains des méthodes que la morale réprouve ».

Ces évènements troublants surviennent dans un contexte où le ministre de la culture semble vouloir confirmer le contenu de son projet initial, malgré la mobilisation citoyenne exceptionnelle qu'il a suscité.

De nombreux citoyens et organisations considèrent son projet comme dangereux pour l'accès à la culture, pour la diversité culturelle mais aussi pour les entreprises françaises du logiciel libre et pour les entreprises, les collectivités et les universités qui utilisent ces logiciels pour développer leurs recherches ou leurs projets.

Les 150 000 individus et les 900 organisations (dont plus 200 entreprises) signataires de la pétition "NON au projet de loi DADVSI" lancée par l'initiative EUCD.INFO (http://eucd.info) sont une incarnation concrète de l'opposition existante au projet du ministre de la Culture.

À l'inverse, il semble qu'une poignée de puissantes entreprises de l'industrie du disque, du film et de l'informatique mobilisent d'importants moyens pour que ce texte soit adopté, sans les aménagements susceptibles de l'équilibrer.

Dans ce contexte, et vu les témoignages révélant l'existence de pressions très graves de nature à entraver le bon déroulement des débats parlementaires et favorisant la défense d'intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, je me permets de vous demander de bien vouloir demander à votre président de groupe d'insister auprès du président de l'Assemblée lors de la prochaine conférence des présidents pour qu'une suite positive soit donnée aux demandes de Messieurs Couchet et Espern, membres fondateurs de l'initiative EUCD.INFO :

  • initier la création d'une mission d'enquête parlementaire pour recueillir tout élément d'information sur les faits révélés sur l'utilisation détournée de la redevance pour copie privée ;
  • reporter l'examen du projet de loi DADVSI, le temps que la mission d'enquête soit lancée et fasse la lumière sur ce dossier ;
  • inviter Monsieur Donnedieu De Vabres à préciser ses positions sur le contenu de son projet en se rendant devant la Commission des Affaires Culturelles et Sociales de l'Assemblée Nationale
  • demander officiellement au Premier Ministre le retrait de l'urgence pour que la représentation nationale puisse légiférer dans des conditions décentes, dignes de notre République.

Je souhaite vous préciser que ces actions me semblent nécessaires pour assainir le débat parlementaire, rétablir la confiance de citoyens comme moi en notre démocratie et favoriser la transparence, l'objectivité et la sérénité nécessaires au travail des parlementaires.

Convaincu que vous saurez répondre à ces demandes pour réunir les conditions propices à un débat serein, équilibré et démocratique, je vous prie d'agréer , Monsieur le député, l'expression de ma haute considération.