La publication de de cette lettre sur ce site ne signifie pas que ses signataires partagent l'ensemble des positions exprimées sur ce site. Merci à Cédric Corazza pour la traduction. Une version originale de la lettre est disponible ici


Lettre ouverte aux Sénateur Hatch, Sénateur Leahy, Représentant Carlos Moorhead, Honorable Ron Brown et Vice-Président Al Gore

Chers Messieurs :

Nous sommes un groupe de plus de cent professeurs de droit inquiets au sujet du «Livre Blanc» sur la «Propriété Intellectuelle et l'Infrastructure d'Information Nationale ».

Certains d'entre nous sont professeurs ou universitaires sur le droit de la propriété intellectuelle, mais beaucoup d'entre nous ne le sont pas -- nos domaines se concentrant sur le droit constitutionnel, le Premier amendement, le droit et l'économie, le droit privé, la politique en matière d'éducation ou d'autres domaines. Chacun de nous cependant est inquiet à propos de la vie privée, de la liberté d'expression, de l'accès à l'information et de la structure de l'économie de l'information.

Nous vous écrivons car vous êtes les législateurs et hauts représentants de l'exécutif les plus concernés par ce domaine du droit. Comme vous le savez, les Sénateurs Hatch et Leahy viennent juste d'introduire au Sénat les recommandations législatives du livre blanc au travers du projet de loi 1284 et un projet de loi identique a été présenté à la Chambre des Représentants.

Nous insistons pour que ces projets de loi soient retirés pour une étude plus approfondie, pour qu'un débat ouvert et public sur ce domaine important de la politique de l'information ait lieu, et pour que l'Administration ne prenne aucun engagement sur le plan international qui obligerait de fait le pays à appliquer un ensemble de règles sans réel débat intérieur ou législatif.

Argumentaire :

Le livre blanc se présente comme un « réajustement mineur » du droit. En fait, c'est une mesure radicale qui a des implications négatives pour l'accès à l'information du public, des journalistes et des universitaires, pour la liberté d'expression et pour la vie privée. En termes économiques, les recommandations du rapport semble avoir été conçues autour des attentes des plus gros détenteurs de droits actuels, avec un effet négatif correspondant sur l'innovation et la concurrence. Enfin, le renversement par ce rapport de la doctrine du fair use et sa position maximaliste à l'égard des droits de propriété intellectuelle semble présager une division du pays entre les ayant-accès à l'information et les autres, dans laquelle la promesse de l'Administration Clinton d'accès universel serait perdue.

L'aspect radical des suggestions du livre blanc et de ses interprétations du droit actuel s'illustre dans le fait que :

  • par une interprétation extensive et formaliste de la copie, elles feraient de la lecture d'un document sur l'écran de votre navigateur Web une contrefaçon ;
  • elles privatiseraient une grande partie du domaine public en renversant la présomption actuelle de fair use pour la copie non-commerciale. À la place, dès que l'utilisateur aurait pu obtenir une licence, l'utilisation sans licence serait présumée être une contrefaçon. Le fair use est une partie cruciale de la loi sur les droits d'auteur, dans la mesure où elle fournit la matière de base à la recherche universitaire, aux journaux et au débat public. Cette disposition associée à d'autres dans le livre blanc, a le potentiel d'isoler des autoroutes de l'information ceux qui ne peuvent se permettre d'obtenir une licence, contrastant là dramatiquement avec l'engagement «d'accès universel" exprimé par l'Administration Clinton ;
  • elles rendraient les fournisseurs d'accès - America On-line par exemple - à proprement parler responsables des infractions au droit d'auteur de leur abonnés, les obligeant dès lors à surveiller ce que font leurs utilisateurs, avec des effets négatifs évidents sur la vie privée et sur un accès abordable aux services en ligne;
  • elles vous rendraient civilement responsable pour le fait d'essayer d'altérer tout dispositif ou système de protection de droits d'auteurs (tels que le chiffrement de programmes et d'autres produits numériques ou les équivalents en ligne d'identification de l'appelant) , et ce même si vous le faites sans intention de copier illégalement le produit mais à des fins totalement légitimes, comme la protection de votre vie privée. Cette disposition autoriserait également les sociétés de logiciels à contourner la loi actuelle sur la décompilation; en verrouillant leurs programmes elles pourraient refuser aux autres sociétés le droit qu'elles ont actuellement de « décompiler » ces programmes à des fins d'« interopérabilité ». Ce faisant, cette disposition donnerait aux acteurs majeurs un énorme avantage, augmenterait les tendances monopolistiques sur ce marché et minerait l'innovation et la concurrence;
  • elles assimileraient à un crime fédéral le fait de supprimer, pour quelque raison que ce soit, toute information de gestion de droit d'auteur intégrée dans tout document.

Il y a plus, mais nous pensons que cela est suffisant pour illustrer le fait que les problèmes vont ici au-delà du cadre étroit de la « propriété intellectuelle ». Le livre blanc a des effets sur la vie privée, sur le potentiel pour une démocratie informée, sur l'éducation publique, sur la recherche universitaire, sur l'innovation future, sur le pouvoir du marché; sur la structure même de l'économie de l'information. Bien que ces points aient été soulevés lors des auditions, ils ne sont abordés nulle part sérieusement dans le rapport lui-même.

Nous avons besoin d'un processus législatif plus ouvert et avec plus de délibérations pour décider sur de tels problèmes -- dans lequel les voix de ceux qui souhaitent protéger le domaine public ou qui croient simplement qu'il y a eu précipitation dans le jugement, puissent être entendues. L'idée qu'une action « urgente » est nécessaire pour sauver le Net ou pour sauver l'économie « numérique » de haute technologie en général, s'accorde mal avec l'étonnante croissance de ces deux secteurs ces trois dernières années.

À toutes ces préoccupations concrètes, nous souhaiterions en ajouter une sur la méthode. Avec le livre blanc, l'Administration a poursuivi une stratégie dans « deux directions », en faisant pression pour que ses recommandations servent à la fois de base à une législation intérieure et à un accord international.

Les traités sur la propriété intellectuelle n'autorisent généralement les citoyens et les sociétés d'un état à revendiquer à l'étranger des protections de propriété intellectuelle particulières que si leur propre état reconnaît ces mêmes protections localement. Par conséquent, une Administration qui propose à l'étranger une protection de la propriété intellectuelle expansive, en obtenant que d'autres pays acceptent ces protections, met une pression accablante sur le Congrès. L'argument sera : nos sociétés ne pourront être compétitives à l' international que si nous votons des lois restrictives au niveau national.

Cette technique « d'auto-amorçage » a, manifestement, des conséquences fâcheuses, à la fois pour la séparation des pouvoirs et pour la possibilité pour les citoyens de participer à l'élaboration d'une résolution démocratique.

Pour toutes ces raisons nous demandons que :

  • le projet de loi sénatorial 1284 et le projet de loi de la Chambre des Représentants 2441 soit retirés pour une étude plus appronfondie;
  • des auditions soient tenues dans lesquelles il y ait des représentants de tous les points de vue et pas seulement ceux des plus gros détenteurs de droits;
  • un processus de débat public et ouvert soit conduit dans lequel la participation ne se limite plus seulement au domaine du droit d'auteur;
  • le Secrétaire Brown et le Vice-Président Gore, en accord avec le principe de séparation des pouvoirs, n'engage pas l'Administration à prendre des décisions dans l'arène internationale qui engageraient de fait les États-Unis à appliquer un ensemble de règlements sur la propriété intellectuelle sans débat local.

Quoiqu'il advienne, il sera rappelé aux destinataires de cette lettre de porter attention aux besoins de nouvelles règles à établir pour la société de l'information. Il serait tragique que ces règles étouffent le potentiel culturel, éducatif, politique et économique des autoroutes de l'information par un dispositif réglementaire défini dans une précipitation inutile. L'environnement numérique est actuellement le lieu d'un développement économique et culturel florissant; une décision urgente destinée à « sauver » cet environnement florissant pourrait en fait lui nuire. Nous vous demandons donc respectueusement de ralentir le processus - et de l'élargir - avant que le mal ne soit fait.

Sincèrement vôtre

(Institutions for Indentification purposes only)
Professor Keith Aoki, University of Oregon Law School
Professor Gregory Alexander, Cornell Law School
Professor C. Edwin Baker, University of Pennsylvania Law School
Professor Hugh Baxter, Boston University Law School
Professor Margreth Barrett, University of California, Hastings
Professor Loftus E. Becker, Jr., University of Connecticut Law School
Professor Derrick Bell, New York University Law School
Professor Steven Bender, University of Oregon School of Law
Professor Nathaniel Berman, Northeastern Law School
Professor James Boyle, Washington College of Law, American University
Professor Ronald Brand, University of Pittsburgh Law School
Professor Dan L. Burk, Seton Hall Law School Professor
Peter Byrne, Georgetown Law School
Professor Paul Carrington, Duke Law School
Professor Caroll Chomsky, Minnesota Law School
Professor Margaret Chon, Syracuse University College of Law
Professor George L. Christie, Duke Law School
Professor Elizabeth Clark, Boston University Law School
Professor David Cole, Georgetown Law School
Professor Jane M. Cohen, Boston University Law School
Professor Julie E. Cohen, University of Pittsburgh School of Law Professor
Richard Danner, Duke Law School
Professor Adrienne Davis, Washington College of Law, American University
Professor James R. Elkins, West Virginia University College of Law
Professor Garrett Epps, Oregon University Law School
Professor Alan Feld, Boston University Law School
Professor Marc Feldman, University of Maryland School of Law
Professor Eric Freedman, Hofstra University School of Law
Professor William W. Fisher III, Harvard Law School Professor
Caroline Forell, University of Oregon Law School
Professor Stephen P. Garvey, Cornell Law School Professor
Laura Gassaway, University of North Carolina Law School
Professor Ibrahim J. Gassama, University of Oregon Law School Professor
Wendy Gordon, Boston University Law School
Professor Egon Guttman, Washington College of Law, American University
Professor Paul Haagen, Duke Law School Professor
Mark Hager, Washington College of Law, American University
Professor Joel Handler, University of California Los Angeles Law School
Professor Leslie Harris, University of Oregon Law School
Professor Paul J. Heald, University of Georgia School of Law
Professor Bernard Hibbitts, University of Pittsburgh Law School
Professor Mary Brandt Jensen, University of Mississippi Law School
Professor Beryl Jones, Brooklyn Law School
Professor Wendy Kaplan, Boston University Law School
Professor Kenneth Karst, University of California Los Angeles Law School
Professor Avery Katz, Georgetown
Law School Professor David Kennedy, Harvard Law School
Professor Christian Kimball, Boston University Law School
Professor Lisa Kloppenberg, University of Oregon School of Law Professor
Seth Kreimer, University Of Pennsylvania Law School
Professor Leslie Kurtz, University of California, Davis
Professor Lewis Kurlantzik, University of Connecticut Law School
Professor Pnina Lahav, Boston University Law School
Professor David Lange, Duke Law School
Professor Mark Lemley, University ofTexas Law School
Professor Jessica Litman, Wayne State University Law School
Professor David Lyons, Boston University Law School
Professor Eva S. Nilsen, Boston University Law School
Professor Michael Madow, Brooklyn Law School
Professor Peter W. Martin Cornell Law School
Professor James P. May, Washington College of Law, American University
Professor Willajeanne McLean, University Of Connecticut Law School
Professor Molly S. McUsic, University of North Carolina Law School
Professor Peter S. Menell, University of California at Berkeley School of Law Professor Binny Miller, Washington College of Law, American University
Professor Frances Miller, Boston University Law School Professor
Robert Mosteller, Duke Law School
Professor Samuel K. Murumba, Brooklyn Law School
Professor Robert L. Oakley,, Georgetown University Law Center
Professor James M. O'Fallon, University of Oregon Law School
Dean Russell K. Osgood, Cornell Law School
Professor Margaret L. Paris, University of Oregon Law School
Professor Dan Partan, Boston University Law School
Professor Peter Pitegoff, SUNY Buffalo Law School
Professor Andrew Popper, Washington College of Law, American University
Professor Margaret Jane Radin, Stanford Law School
Professor Jamin Ben Raskin, Washington College of Law, American U.
Professor Milton C. Regan, Jr. , Georgetown University Law Center
Professor David A. Rice, Rutgers-Newark School of Law
Professor David Rossman, Boston University Law School
Professor David G. Post, Georgetown University Law Center
Professor Pamela Samuelson, Cornell Law School
Professor Thomas Sargentich, Washington College of Law, American U.
Professor David Seipp, Boston University Law School
Professor John Henry Schlegel, SUNY Buffalo Law School
Professor Stewart J. Schwab, Cornell Law School
Professor Ann Shalleck, Washington College of Law, American University
Dean Peter Shane, University of Pittsburgh Law School
Professor Ken Simons, Boston University Law School
Professor Katerine Silbaugh, Boston University Law School
Professor Bill Simon, Stanford Law School
Professor Joe Singer, Harvard Law School
Professor Girardeau A. Spann, Georgetown University Law Center
Professor Robert K. Stumberg,Georgetown University Law Center
Professor Burton Wechsler, Washington College of Law, American University
Professor Jonathan Weinberg, Wayne State University Law School
Professor Wayne Westling, University of Oregon Law School
Professor Mary Christina Wood, University of Oregon Law School
Professor William van Alstyne, Duke Law School
Professor Robert Vaughn, Washington College of Law, American University
Professor Russ Versteeg, New England Law School
Professor Dominick Vetri, University of Oregon Law School
Professor Robert Volk, Boston University Law School
Professor Larry Yackle, Boston University Law School
Professor Alfred C. Yen, Boston College Law School
Professor Diane Zimmerman, New York University Law School
(Institutions for Identification purposes only.)