Paris, le 17 octobre 2005

Monsieur le ministre,

Suite aux nombreuses inquiétudes suscitées par la déclaration d’urgence du 2 juin 2005 sur le projet de loi n° 1206, déposé le 12 novembre 2003, relatif aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, je vous prie de bien prendre en compte les interrogations suivantes.

Si personne ne peut légitimement contester la nécessité d’encadrer et protéger les droits d’auteur au vu de l’essor des échanges numériques en ligne, il apparaît en revanche préjudiciable pour ce faire d’en passer par une procédure d’urgence au prétexte, même avéré, de satisfaire un calendrier européen de transposition du droit communautaire dépassé, à l’heure où la Commission réfléchit à la modification de la directive en vigueur relative à l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

Il apparaît en effet que la Commission travaille, pour 2006, sur l’opportunité d’une telle réforme, notamment la modification de l’article 5(2) (b) de la directive susmentionnée relatif au calcul de la « rémunération juste » pour les titulaires de droits d’auteurs dans le cadre légitime de copie privée. Cette réflexion s’accompagne d’une étude d’impact, préalable au débat politique prévu pour l’automne 2006 (cf. les récentes déclarations de M. LUEDER, chef de l’unité française Droits d’auteur à la direction générale Marché intérieur et services de la Commission européenne, lors de la 13è conférence annuelle sur le droit et les politiques de propriété intellectuelle au niveau international).

Le projet de loi n° 1206 susmentionné fait fi, outre de l’étude d’impact prévue par la circulaire du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes, de la remise en cause actuelle de la directive européenne qu’elle entend transposer, et notamment des problèmes liés à la libre circulation des informations essentielles à l’interopérabilité, au « double paiement », ou enfin aux logiciels libres, également en discussion au sein des institutions européennes.

S’agissant donc d’un double rendez-vous manqué, je vous demande, eu égard aux enjeux soulevés par une telle réforme, notamment au regard de la défense des talents nationaux face au monopole des grands groupes internationaux, de donner au Parlement les moyens d’un vrai débat démocratique en ôtant le caractère d’urgence lié à ce projet de loi.

Enfin, pour ce qui touche aux logiciels libres, je vous remercie par avance de bien vouloir me faire part de vos projets en la matière, notamment sur l’opportunité de les exclure expressément du champ d’application du projet de loi susmentionné, aux fins d’éviter des conséquences fâcheuses tant du point de vue de la production des idées en France que des contentieux que ne manqueront pas d’entraîner votre projet de loi, s’il est adopté en l’état.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma respectueuse considération.

François BROTTES