Dans ces conditions, l'initiative EUCD.INFO se réjouit que le site de l'Assemblée Nationale annonce une seconde lecture. (i) Il semble que le gouvernement ait tenu son engagement de ne pas utiliser la force en cas de divergences majeures entre les deux chambres.(ii) Une seconde lecture est en effet devenue indispensable au regard des modifications importantes apportées par le Sénat au texte de l'Assemblée.

Les dispositions ajoutées par le Sénat visant à créer une responsabilité aggravée du fait d'autrui, à imposer des mouchards aux internautes, à mettre en place un système de filtrage à grande échelle, ou à interdire une technologie en tant que telle, comme par exemple les articles 12 bis modifié, 14 ter A, ou 14 quater modifié, doivent être supprimées. La France n'est pas la Chine, le droit d'auteur n'est pas supérieur aux libertés fondamentales, et comme l'a si bien dit l'AFA, «le texte de loi actuel menace le principe même d'Internet en tant qu'espace d'échanges de fichiers et d'informations sur les réseaux, en s'attaquant aux outils indispensables à son fonctionnement.» (iii)

L'article 7 bis A, voté à une très courte majorité (164 contre 159), et qui donne le droit à une nouvelle autorité administrative indépendante d'interdire l'accès à certains marchés et de censurer les auteurs de logiciels libres, doit aussi être supprimé. Il est impensable qu'il puisse se substituer à l'article 7, supprimé par le Sénat sous la pression du secrétaire d'État au commerce américain,(iv) alors même que cet article avait été voté à l'unanimité par l'Assemblée. L'industrie du logiciel libre ne peut pas être sacrifié sur l'autel des interêts d'Apple ou de Microsoft,(v) et le droit de lire une oeuvre numérisée avec le logiciel de son choix - libre ou propriétaire - doit être pleinement garanti par la loi, comme il tendait à l'être à la sortie de l'Assemblée Nationale.

Les articles 8 et 9, modifiés susbtantiellement par le Sénat, doivent eux être entièrement réécrits pour que la copie privée soit effectivement garantie, et que le droit d'accès à un juge indépendant et impartial ne soit pas mutilé. Il convient également de modifier les articles 13 et 14 pour permettre le contournement de mesures techniques à des fins de protection de la vie privée et d'usage licite.

Si il apparaîssait que sous les pressions - qui vont sans aucun doute redoubler à l'annonce de cette seconde lecture, le gouvernement faisait marche arrière et refusait aux parlementaires le droit de travailler sereinement, l'initiative EUCD.INFO demande aux députés de rejeter le projet de loi. Un sursaut républicain des élus de la majorité serait dans un tel cas particulièrement attendu. Il ne serait en effet pas acceptable que se reproduise le «vote godillot» du 21 mars dernier sur un texte réécrit en catimini par une commission mixte paritaire. Les députés doivent voter en conscience, pas en troupeau.


(i) Dossier législatif du DADVSI (avec seconde lecture affichée)

(ii) Paroles du ministre Renaud Donnedieu De Vabres, extraites des compte-rendus intégraux des débats à l'Assemblée nationale

Première séance du jeudi 9 mars 2006, 165e séance de la session ordinaire 2005-2006

  • "Si une grande différence apparaît, des positions inconciliables entre les deux chambres, le Gouvernement appréciera, par respect de la souveraineté du Parlement, s'il y a lieu d'organiser des navettes supplémentaires."
  • "si le Gouvernement constate un décalage important... entre les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat, il ne convoquera pas la commission mixte paritaire et il fera en sorte que les positions puissent se rapprocher."
  • "Si nous constatons un écart considérable entre les positions de l'Assemblée nationale et celles du Sénat, nous prendrons le temps nécessaire."

Deuxième séance du jeudi 9 mars 2006, 166e séance de la session ordinaire 2005-2006

  • "J'ai pris l'engagement devant le Sénat que le Gouvernement ne demanderait pas une lecture conforme, afin que la Haute assemblée puisse elle aussi, avec sa sagesse et son expérience, enrichir le texte. Je prends devant vous l'engagement que, si des divergences fondamentales apparaissaient entre l'Assemblée et le Sénat, ... le Gouvernement ne convoquerait pas la commission mixte paritaire, mais laisserait se prolonger la discussion entre les deux assemblées."
  • "Si le Gouvernement constate des divergences fondamentales d'analyse entre l'Assemblée nationale et le Sénat, nous n'agirons pas par la force."
  • "J'ai pris l'engagement devant vous, au nom du Gouvernement, en cas de divergence fondamentale entre l'Assemblée nationale et le Sénat... de ne pas convoquer immédiatement la commission mixte paritaire, mais d'organiser une navette."
  • "Je vous ai dit calmement et officiellement tout à l'heure que, s'il constatait un accord au terme de deux débats sereins à l'Assemblée nationale et au Sénat, le Premier ministre aurait la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire. Dans le cas inverse, celle-ci ne serait pas convoquée."

(iii) L'Association des fournisseurs d'accès et de services Internet (AFA) souligne les limites et les dangers de faire porter la responsabilité du piratage d'oeuvres protégées sur les acteurs technologiques

(iv) Article silicon.fr : «Le gouvernement US soutient Apple face à la loi française» et article infoguerre.com : «DADVSI : Apple et le gouvernement américain main dans la main ?»

(v) Articles International Herald Tribune : «French Senate's version of 'iPod law' to fit corporate interests better» et «A draft law in France unnerves software firms»

  • "These Senate amendments take the meat out the law," said Gilles Gravier, global chief technology strategist for security at Sun Microsystems [11 md de $ de CA, 31 000 employés dans le monde]. "Creating licensing fees for interoperability means a prohibitively high price can be set that allows only large corporations to enter the market.”
  • "We are very proud of our servers' ability to operate with all media, but if this law proceeds we could be in violation of the law," Gravier said. "It is not a question of willingness - the open- source basis of our software actually makes it impossible for us to control how it is used and modified."