Alors que les deux précédentes grandes lois sur le droit d'auteur (1957 et 1985) ont été adoptées à l'unanimité, le ministre de la culture a échoué. Il n'est pas parvenu à rassembler sur son projet de loi visant à adapter le droit d'auteur français à l'ère du numérique, pas même au sein de sa majorité. Depuis novembre dernier, la mobilisation contre son projet de loi - le DADVSI - ne cesse de croître. Les demandes de retrait de l'ordre du jour se multiplient. La nouvelle version bâclée et hypocrite présentée fin février, la campagne de désinformation qui l'a accompagné, le tour de passe anti-constitutionnel et le passage en force des 7, 8, 9 mars ont relancé l'opposition au «DADVSI code».[2]

Les présidents d'Universités «en appellent au Parlement qui, doit à l'instar des parlements des pays européens, permettre aux universités et aux bibliothèques d'assurer leur mission et de garantir l'accès à la culture française».[3] Des entreprises du logiciel libre et des collectivités territoriales ont exprimé une nouvelle fois leurs inquiétudes quant à leur sécurité juridique. [4]

À la lecture d'accords contractuels surréalistes signés par le gouvernement en lieu et place de l'instauration d'une véritable exception pédagogique, des enseignants-chercheurs se sont déclarés officiellement en situation de désobéissance civile.[5]. Des internautes de tous âges et de toutes conditions, qui suivent les débats via le site de l'Assemblée, grondent sur les forums et commencent à organiser des manifestations physiques.[6]

Tout comme les 155 000 particuliers et les 900 organisations ayant signé la pétition EUCD.INFO,[7] des associations nationales de consommateurs et de familles (UFC, UNAF, CLCV), des syndicats de musiciens, et des société de gestion collective défendant les droits de dizaines de milliers d'artistes-interprètes demandent désormais le retrait pur et simple du texte.[8] Le Conseil Économique et Social s'est auto-saisi pour réaffirmer ses positions sur le téléchargement (assimilation à de la copie privée), qui vont dans le sens contraire de la voie répressive choisie par le ministre.[9]

Il faut se rendre à l'évidence : même si elle était jugée constitutionnelle, une loi sur le droit d'auteur aussi rétrograde, injuste et contestée, passée en force, sous la pression et les menaces avérées de lobbies, et au mépris des droits des parlementaires, ne serait pas respectée. D'autant plus qu'elle est inapplicable.

Au lieu de traiter une nouvelle fois le Parlement comme «une chambre d'enregistrement», et la concertation avec la société civile comme une option, le Premier Ministre devrait donc prendre acte de l'échec de M. Donnedieu De Vabres, retirer le projet de loi de l'ordre du jour et lever l'urgence. Il devrait aussi écouter le président de l'Assemblée, les présidents de groupe et les députés qui lui ont signalé qu'il fallait prendre le temps d'une mission d'information parlementaire, dans l'interêt de tous.


I - Références

[0] - Téléchargement d'erreurs pour le ministre - Florent Latrive (Libération)

<http://www.didiermathus.com/publique/liste_art.php?id=105&rub=10>

En France, défendre une loi sur le droit d'auteur permet bien souvent de laisser son nom dans l'histoire. Après Le Chapelier, rapporteur de la toute première, en 1791, et Jack Lang en 1985, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres n'échappe pas à la règle : depuis deux jours, le tabassage de son projet de loi sur la réforme du droit d'auteur dans la société de l'information par des députés de tous bords est d'ores et déjà historique. «On attendait Malraux, on a eu Maginot !» a lâché le socialiste Christian Paul avant-hier.

[1] - Les députés UMP enterrent la "licence globale" dans la confusion - Christine Ollivier (AP)

<http://permanent.nouvelobs.com/politique/20060310.FAP2633.html?1546>

Le débat sur les droits d'auteur sur Internet doit reprendre mardi à l'Assemblée nationale, alors que le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres a finalement obtenu jeudi soir, dans la confusion la plus totale et en l'absence de l'opposition, l'enterrement des amendements créant la "licence globale". La SPEDIDAM, société de gestion collective des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse, qui représente plus de 27.000 artistes interprètes, a fait part vendredi dans un communiqué de sa "stupéfaction" devant "le spectacle donné jusqu'au 10 mars à 1h du matin par le gouvernement" à l'Assemblée Nationale, avec "un ministre qui tente d'éviter le débat de fond, supprime un article sur lequel il considère que les députés ont mal voté" et "le réintroduit ensuite par peur d'une illégalité dont il avait affirmé la veille qu'elle était inexistante".

[2] - Polémique autour du «DADVSI Code» - Arnaud Dimberton (silicon.fr)

<http://www.silicon.fr/getarticle.asp?ID=13887>

Mais les dés ne sont-ils pas pipés ? Dans un communiqué, EUCD.INFO exige du président de l'Assemblée nationale la création d'une commission d'enquête parlementaire dans le cadre de révélations faites par l'émission de France 2 « Complément d'enquête" sur des pressions exercées sur les élus avant l'examen du projet de loi DADVSI.

[3] - Motion de la Conférence des Présidents d'Université relative à l'exception pédagogique

<http://www.cpu.fr/ActU/Actu.asp?Id=1081&Inst=CPU>

La Conférence des présidents d'université (CPU) et l'Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) regrettent que les débats concernant le projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information se soient essentiellement focalisés sur les questions de téléchargement.

[4] - Des acteurs du logiciel libre toujours inquiets prennent position

<http://www.adullact.org/documents/communique_presse_editeurs_DADVIS.pdf>

Tandis que cette semaine les amendements du projet de loi DADVSI - Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information - seront examinés par les députés (dont le vote définitif aura lieu le 14 mars devant l’Assemblée Nationale), les acteurs du logiciel libre adressent une lettre au Premier Ministre. Ils estiment que les conséquences d’une telle décision sur le positionnement de la France dans le secteur global des systèmes d’information et de l’industrie du multimédia en particulier, n’ont pas été pleinement mesurées à l’aune de leur gravité.

[5] - Désobéissance civile pour une exception pédagogique sans restriction

<http://www.politechnicart.net/exception/php/index.php>

Selon l'Article 3, n'est "autorisée la représentation d’œuvres visées par l’accord lors de colloques, conférences ou séminaires organisés à l’initiative et sous la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, qu'à la condition que le colloque, la conférence ou le séminaire soit strictement destiné aux étudiants ou aux chercheurs" ! Plus encore, cette logique de limitation et contrôle de nos pratiques d'enseignants-chercheurs va jusqu'à s'étendre aux contenus même de nos enseignements et recherche dans leur forme, leur nature et leur source. C'est ainsi le cas avec les extraits musicaux "limités à 30 secondes", l'interdiction de compilations d'articles pour la presse, le nombre des œuvres des arts visuels restreint "à 20 œuvres avec une définition numérique limitée à 400 x 400 pixels et avoir une résolution de 72 DPI (dot per inch)" (sic) pour les cours, colloques et thèses.

[6] - Forum «Libertés numériques» où s'organisent des actions d'internautes

<http://forum.framasoft.org/viewforum.php?f=82>

[7] - La pétition EUCD.INFO : «NON au projet de loi DADVSI»

<http://eucd.info/petitions/index.php?petition=2>

La pétition «NON au projet de loi DADVSI» lancée le 2 décembre a recueilli plus de 155 000 signatures de particuliers et plus de 900 signatures d'organisations dont 200 entreprises.

[8] - Appel national au retrait du projet de loi

<http://www.unaf.fr/article.php3?id_article=3283>

Etant données les conditions d’examen du projet de loi DADVSI, il est devenu indispensable que le gouvernement retire ce texte : il n’est pas possible aujourd’hui de parvenir à une loi assurant de façon juste et équilibrée le respect des droits du public et des créateurs. Seul le retrait du texte de l’ordre du jour peut permettre de reprendre un débat serein, et de légiférer dans l’intérêt général pour aboutir à un texte dont chacun reconnaisse la légitimité.

Signataires de l’appel : Free Software Foundation France, EUCD.INFO, Ligue ODEBI, APRIL, Alliance Public-Artistes : SPEDIDAM, ADAMI, FNS, SNM-FO, SAMUP, SNEA-UNSA, UMJ, SAIF, UPC, SNAP-CGT, Quartz Electronic Music Awards, La Ligue de l’enseignement, UNAF, Audionautes,CLCV, UFC Que-Choisir.

[9] - Avis du Conseil Économique et Social

<http://www.pcinpact.com/actu/news/27047-Critiquee-la-loi-DADVSI-reste-sur-la-rampe-d.htm?vc=1>

« Le Conseil économique et social propose de qualifier de copie privée les téléchargements d'oeuvres, au lieu de les assimiler systématiquement à du piratage » et de spécifier « dans le cadre d'une licence légale délivrée aux fournisseurs d'accès à l'Internet (FAI), la copie privée peut alors être quantifiée, sachant que, à l'instar du risque zéro qui n'existe pas, il est illusoire de chercher à éradiquer l'usage abusif de l'oeuvre. Il s'agit de réduire au minimum le préjudice subi par les ayants droit, par un système de compensation financière. »

II - À propos d'EUCD.INFO

EUCD.info est une initiative créée par la FSF France (chapitre français de la Free Software Foundation) dont la mission est d'informer sur les conséquences sociales et économiques de la directive européenne du 22 mai 2001 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information(surnommée EUCD), et de contribuer à l'évolution de l'acquis communautaire.